L’Opéra de Dijon propose, du 23 au 27 mai, deux opéras peu joués : le Pygmalion de Rameau et l’Amour et Psyché de Mondonville, qui constitue la troisième entrée de l’opéra – ballet Les Fêtes de Paphos. Pygmalion fut l’un des plus grands succès de Rameau. Il séduisit notamment Grimm, comme il l’écrit dans sa célèbre Lettre sur Omphale ( 1752 ) : « Quelle régularité dans le dessein, quelle harmonie dans la symphonie, quelle simplicité, quel savoir dans la basse continue, quelle noblesse dans sa marche, quelle expression dans le chant, comme il est touchant et vrai ! ». Quant à L’Amour et Psyché, postérieur de seulement dix ans à Pygmalion, il s’agit ici de sa première représentation scénique depuis le XVIIIe siècle. Ainsi, tous les amateurs de musique baroque attendaient avec impatience de découvrir ces deux œuvres mises en scène à l’Opéra de Dijon, qui s’impose dorénavant comme l’un des temples servant au mieux la musique de Rameau, natif de la ville.

Le bonheur d’entendre ces deux œuvres absentes des scènes lyriques depuis trop longtemps fut immense, d’autant plus lorsqu’une telle équipe musicale est réunie. Mais si les oreilles furent à la fête, les yeux, bien loin d’admirer ce qui se passait sur scène, avaient plutôt envie de se fermer pour se laisser transporter dans l’univers mythique de Pygmalion et de Psyché.
En effet, la mise en scène de Robyn Orlin s’avère bien décevante.
L’une des rares bonnes idées de la chorégraphe est la volonté d’abolir la frontière entre la scène et l’orchestre. Des vidéos prises en temps réel nous montrent Emmanuelle Haïm, radieuse, diriger son ensemble. Elle se transforme même en Vénus pendant la première partie de la soirée, lorsque Reinoud Van Mechelen ( Pygmalion ) s’assoit en bord de fosse pour la prier de métamorphoser sa statue en être de chair.

Robyn Orlin a décidé de mettre en avant l’aspect narcissique du mythe de Pygmalion ( l’artiste ne s’intéresse pas à la personnalité de la Statue ) et à la critique du monde de l’art. Ainsi, se trouve côté jardin une toile noire tendue sur laquelle sont projetées des images prises en temps réel, constituant peu à peu l’oeuvre d’art mouvante à laquelle aspire Pygmalion. Pendant l’ouverture, l’artiste s’affaire à essayer de réaliser l’œuvre d’art idéale à laquelle il ambitionne. Il utilise pour cela ses assistants, composés des danseurs et des personnages de Céphise et de la Statue, comme des sortes de matériaux vivants, en les installant sur sa table de travail pour ensuite les filmer en direct. Les membres du chœur sont des amateurs d’art bourgeois plutôt prompts à s’enivrer qu’à vraiment admirer l’oeuvre de Pygmalion. Le traitement des personnages de Céphise et de la Statue est plutôt intéressant, avec notamment le final pendant lequel on les voit détruire l’oeuvre de Pygmalion. Mais si sur le papier les intentions de mise en scène sont intéressantes, leurs réalisations scéniques sont décevantes. Les idées esquissées ne semblent pas abouties et surtout la confusion règne avec le choix de dédoubler le personnage de la statue, avec d’un côté l’œuvre d’art et de l’autre, la personne physique qui est une sorte de muse. Mais ce choix mène à l’incompréhension : finalement la Statue ne prend pas vie au cours de l’acte de ballet, puisque elle est déjà présente physiquement depuis le début de l’opéra. La direction d’acteurs, dénuée de finesse, accroît la déception.

Mais la plus grosse déception vient de l’Amour et Psyché. Si la confusion régnait déjà lors de l’acte de ballet de Rameau, elle est portée à son summun lors de la seconde partie de la soirée. Chaque chanteur possède un double danseur, ce qui rajoute à la profusion et à la confusion générales. Les vidéos, utilisées de manière plutôt intelligente lors de Pygmalion, prennent alors le pas sur le théâtre. En effet, les artistes sont filmés en temps réel, dans deux espaces, à cour et à jardin, et ces vidéos sont projetées sur un écran situé au fond de la scène. Ainsi, les artistes se retrouvent la plupart du temps devant la caméra. La mise en scène se résume à un écran sur lequel on voit les chanteurs sur un fond changeant selon la succession des scènes. Cet emploi abusif de la vidéo est problématique car il tue véritablement le théâtre. Une mise en scène ne peut pas être constituée que d’un simple écran sur lequel apparaissent les visages des chanteurs ou des danseurs ( d’autant plus que la direction d’acteurs est à peine esquissée ). Surtout, quel est le rapport entre un plateau de cinéma et l’histoire de Psyché, symbole de la destinée de l’âme humaine ( Ψυχή en grec signifiant l’âme ), qui doit surmonter des épreuves pour accéder à l’éternité et à l’amour divin ? La mise en scène ne propose aucune interprétation et ainsi, on aurait pu se contenter d’une version de concert.
La déception vient aussi du fait que l’on pouvait s’attendre, de la part d’une chorégraphe, à une chorégraphie soignée. Hélas, la chorégraphie contemporaine est vulgaire, brouillonne et en opposition avec la musique et le mythe de Pygmalion et de Psyché et Cupidon. On aurait pu s’attendre à des danses plus sensuelles, inspirées de la gestuelle des statues représentant ces mythes comme : Psyché ranimée par le baiser de l’Amour de Canova ou Pygmalion et Galatée de Falconet. L’iconographie riche de ces mythes joue sur le toucher et sur une douce sensualité ( voir les Pygmalion et Galatée de Jean – Léon Gérôme et de Louis – Jean – François Lagrenée, Psyché et Cupidon de François Gérard ou L’Enlèvement de Psyché de William Bougereau ). Ce rejet de toute sensualité, pourtant au cœur de ces œuvres traitant de l’amour, au profit d’une vulgarité et d’une danse peu élaborée est totalement hors de propos et accroît le sentiment d’une mise en scène bâclée et superficielle. De plus, l’esthétique, avec ses costumes ridicules, est laide et donne l’impression que la mise en scène a été faite à la dernière minute.



Si la mise en scène, est loin de constituer un écrin pour les deux œuvres mais plutôt une entrave visuelle à leur appréciation, l’exécution musicale, elle, sert à merveille ces deux joyaux du baroque français.

Reinoud Van Mechelen est un Pygmalion idéal. Sa diction française irréprochable et sa ligne de chant rendent son Pygmalion élégant et sensible. Ses ariettes « L’Amour triomphe » et « Règne Amour » font la démonstration de toutes les qualités de l’artiste. Chacune de ses interventions sont séduisantes à souhait. On a qu’une seule envie : pouvoir le réentendre dans un rôle plus long à l’Opéra de Dijon ( à bon entendeur … ! )
Samantha Louis-Jean chante avec élégance Céphise ( Pygmalion ) et Vénus ( L’Amour et Psyché ). Son aisance scénique fait également grande impression.
Magali Léger incarne une Statue et une Psyché sensibles. Le timbre charmeur de sa voix, sa grâce et sa sensibilité font de chacune de ses interventions un moment d’émotion. Son air « J’ai perdu mes attraits » permet d’admirer ses talents de tragédienne. De plus, sa voix s’accorde à merveille avec celle d’Armelle Khourdoïan ( L’Amour ), ce qui confère au couple Psyché – Amour une douce sensualité ( malheureusement absente de la mise en scène).
Victor Sicard ( Tisiphone ) fait partie de ces jeunes talents à suivre : sa voix solide de baryton, sa musicalité, sa maîtrise technique font que l’on se régale à chacune de ses interventions. De plus, lui aussi possède une diction irréprochable.
La révélation de la soirée fut la jeune Armelle Khourdoïan qui a brillamment chanté l’Amour dans chacun des opéras. Son timbre sucré, ses aigus rayonnants et la palette de couleurs de son chant rendent son Amour terriblement attachant. De plus, sa présence lumineuse irradie sur scène, si bien qu’on ne peut s’empêcher d’avoir les yeux rivés sur elle.

La magie était également présente dans la fosse d’orchestre. Le Concert d’Astrée, au sommet de son art, nous a livré un Pygmalion et un Amour et Psyché pleins de couleurs. Emmanuelle Haïm, telle la magicienne Alcina, nous a emmené avec elle dans les épreuves initiatiques que doit surmonter Psyché pour s’unir à l’amour divin. Nous avons ainsi eu vraiment l’impression de traverser l’empire des morts lors de la terrifiante sixième scène ! La direction dramatique de la chef permet de mettre en valeur la magnifique partition de Mondonville : tour à tour douce, puissante et entraînante, elle a su rendre compte de toutes les couleurs de la partition. Il faut également souligner le Pygmalion lumineux et très réussi, en particulier lors des scènes de danses ( gavotte, menuet, chaconne, loure, passepied, rigaudon, sarabande ) – pendant lesquelles la suite de l’Amour apprennent la Statue à danser – d’une grande vivacité. Enfin, la gestuelle de la chef, gracieuse et enjouée, est un véritable plaisir pour les yeux.
Nous retrouverons avec plaisir et impatience le Concert d’Astrée à l’Opéra de Dijon pour les Boréades la saison prochaine…
NOUVELLE PRODUCTION DE L’OPÉRA DE DIJON
LE CONCERT D’ASTRÉE
CHŒUR DU CONCERT D’ASTRÉE
DIRECTION MUSICALE Emmanuelle Haïm
MISE EN SCÈNE & CHORÉGRAPHIE Robyn Orlin
DÉCORS Maciej Fiszer
CRÉATION VIDÉO Eric Perroys
LUMIÈRES Laïs Foulc
COSTUMES Sonia de Sousa
ASSISTANAT À LA SCENOGRAPHIE Anouk Maugein
COLLABORATION ARTISTIQUE À LA MISE EN SCÈNE Marcin Łakomicki
ASSISTANAT À LA DIRECTION MUSICALE Atsushi Sakai
CHEF DE CHŒUR Xavier Ribes
CHEF DE CHANT Benoît Hartoin
PYGMALION
MUSIQUE Jean-Philippe Rameau
LIVRET Ballot de Sauvot
L’AMOUR ET PSYCHÉ
MUSIQUE Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville
LIVRET Claude-Henri de Fusée de Voisenon
PYGMALION
PYGMALION Reinoud Van Mechelen
CÉPHISE Samantha Louis-Jean
L’AMOUR Armelle Khourdoïan
LA STATUE Magali Léger
L’AMOUR ET PSYCHÉ
VÉNUS Samantha Louis-Jean
PSYCHÉ Magali Léger
AMOUR Armelle Khourdoïan
TISIPHONE Victor Sicard
CHORÉGRAPHIE | DANSEURS Enrico Wey, Wanjiru Kamuyu, Fana Tshabalala, Albert Khoza, Oupa Sibeko
Opéra de Dijon
Opéra de Lille
Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Théâtre de Caen
Représentations des 23 et 25 mai 2018